|
Proposition 1 :
Toutes les dispositions naturelles d’une créature sont destinées
à se développer un jour complètement et en raison d’une fin. Proposition 2 :
Chez l’homme (en tant qu’il est la seule créature raisonnable
sur terre), les dispositions naturelles, dont la destination est l’usage
de la raison, devaient se développer seulement dans l’espèce, pas dans
l’individu. Proposition 3 :
La nature a voulu que l’homme tire entièrement de lui-même
ce qui va au-delà de l’agencement mécanique de son existence animale,
et qu’il ne participe à aucune autre félicité ou à aucune autre perfection,
que celles qu’il s’est procurées lui-même par la raison, en tant qu’affranchi
de l’instinct. Proposition 4 :
Le moyen dont se sert la nature, pour mener à terme le développement
de toutes les dispositions humaines est leur antagonisme dans la société,
jusqu’à ce que celui-ci finisse pourtant par devenir la cause d’un ordre
conforme à la loi. Proposition 5 :
Le plus grand problème pour l’espèce humaine, celui que la nature la force à résoudre, est
de parvenir à une société civile administrant universellement le
droit. |
Proposition 6 :
Ce problème est en même temps le plus difficile et celui qui
sera résolu le plus tard. Proposition 7 :
Le problème de l’établissement d’une société civile parfaite
est dépendant de celui de l’établissement de relations extérieures entre
les États régies par des lois, et ne peut être résolu sans que ce dernier
ne le soit. Proposition 8 :
On peut considérer l’histoire de l’espèce humaine, dans l’ensemble,
comme l’exécution d’un plan caché de la nature, pour
réaliser, à l’intérieur, et dans ce but, aussi à l’extérieur, une constitution
politique parfaite, car c’est la seule façon pour elle de
pouvoir développer complètement en l’humanité toutes ses dispositions. Proposition 9 :
Une tentative philosophique d’étudier l’histoire universelle
d’après un plan de la nature visant l’union civile parfaite dans l’espèce
humaine doit être considérée comme possible et même comme susceptible
de favoriser cette intention de la nature. |
Quel que soit le concept
de la liberté du vouloir
que l’homme puisse élaborer dans une intention métaphysique, les manifestations
de ce vouloir, telles qu’elles
nous apparaissent, les actions humaines, sont déterminées conformément
aux lois universelles de la nature, aussi bien que n’importe quel autre
événement de la nature. L’histoire, qui a pour tâche de relater ces
faits tels qu’ils nous apparaissent, à quelque profondeur que puissent
être cachées les causes, laisse cependant espérer, quand on considère
en gros le jeu de la liberté du
vouloir humain, que l’on puisse y découvrir un fonctionnement régulier,
et cela de telle façon que ce qui saute aux yeux comme embrouillé et
sans règle chez les sujets individuels pourra cependant être reconnu,
au niveau de l’espèce entière, comme un déploiement continu, progressif,
quoique lent, des dispositions originelles de cette espèce. Ainsi, les
mariages, les naissances qui en résultent, les décès, parce que la libre
volonté des hommes a une grande influence sur eux, semblent n’être soumis
à aucune règle, d’après laquelle on pourrait déterminer d’avance
leur nombre par le calcul ; et pourtant, les tables que l’on dresse
chaque année dans les grands pays prouvent qu’ils se produisent tout
aussi bien selon des lois naturelles constantes que les phénomènes météorologiques
[pourtant] si instables, que l’on ne peut déterminer à l’avance individuellement,
mais qui, dans l’ensemble, ne manquent pas de maintenir la croissance
des végétaux, le cours des fleuves, et de tout ce qui a été institué
d’autre dans la nature selon un mouvement uniforme et ininterrompu.
Les individus, et même des peuples entiers, ne pensent guère que, pendant
qu’ils poursuivent leurs intentions privées, chacun selon ses goûts,
et souvent contre les autres individus, ils suivent comme un fil directeur,
sans s’en apercevoir, l’intention de la nature, qui leur est inconnue,
et qui, même s’ils en avaient connaissance, leur importerait cependant
peu. Vu que les hommes, dans leurs entreprises, ne se comportent pas
seulement de manière instinctive, et qu’ils n’agissent pas non
plus, dans l’ensemble comme des citoyens du monde raisonnables selon
un plan concerté, vu cela donc, il ne paraît pas qu’une histoire conforme
à un plan (comme c’est le cas chez les abeilles et les castors) soit
possible pour eux. On ne peut se défendre d’une certaine irritation
quand on voit leurs faits et gestes exposés sur la grande scène du monde,
et qu’à côté de la sagesse qui apparaît de temps à autres chez des hommes
isolés, dans l’ensemble, on ne trouve finalement qu’un tissu de folie,
de vanité infantile, et souvent aussi de méchanceté et de soif de destruction
puériles. Si bien qu’à la fin, on ne sait plus quel concept on doit
se faire de notre espèce si infatuée de ses attributs supérieurs. Le
philosophe n’en sait pas plus, sinon que, comme il ne peut présumer
un dessein raisonnable propre aux hommes et à la partie
[qu’ils mènent], il a la possibilité d’essayer de découvrir un dessein de la nature dans le cours
insensé des choses humaines; de telle façon que, de ces créatures qui
agissent sans plan propre [ment humain], soit pourtant possible
une histoire selon un plan déterminé de la nature. Nous voulons voir
si nous réussirons à trouver un fil directeur pour une telle histoire,
et nous laissons à la nature le soin de faire naître l’homme apte à
la rédiger ensuite. C’est ainsi qu’elle fit naître un Kepler, qui assujettit d’une manière
inespérée les trajectoires excentriques des planètes à des lois déterminées,
et un Newton, qui expliqua
ces lois à partir d’une cause universelle de la nature.
Toutes
les dispositions naturelles d’une créature sont destinées à se développer
un jour complètement et en raison d’une fin. C’est vérifiable chez
tous les animaux, non seulement par l’observation externe, mais aussi
par l’observation interne, par la dissection. Un organe, dont la destination
n’est pas d’être utilisé, une structure qui n’atteint pas son but est
incompatible avec une étude téléologique de la nature. Car, si nous
nous écartons de ce principe, nous n’avons plus une nature conforme
à des fins, mais un jeu de la nature sans finalité, et le hasard désolant
détrône le fil directeur de la raison. Chez
l’homme (en tant qu’il est la seule créature raisonnable sur terre),
les dispositions naturelles, dont la destination est l’usage de la raison,
devaient se développer seulement dans l’espèce, pas dans l’individu. La raison, dans une
créature, est une faculté d’étendre les règles et les intentions de
l’usage de toutes ses forces bien au-delà de l’instinct naturel et elle
ne connaît aucune limite à ses projets. Mais elle n’œuvre pas elle-même
de façon instinctive. Au contraire, elle a besoin de tentatives, de
pratique, elle a besoin de tirer des leçons, pour progresser petit à
petit d’un degré de discernement à l’autre. C’est pour cette raison
qu’il faudrait à chaque homme une vie démesurément longue pour apprendre
comment il doit faire un usage entier de toutes ses dispositions naturelles;
ou, si la nature n’a fixé à sa vie qu’une courte durée (ce qui s’est
effectivement produit), elle a alors besoin d’une succession indéfinie
de générations, dont chacune lègue aux autres ses lumières, pour que
ses germes atteignent dans notre espèce un niveau de développement
qui soit pleinement conforme à son intention. Et ce terme doit être,
au moins dans l’idée que l’homme en a, le but de ses efforts, car, sinon,
les dispositions naturelles, pour leur plus grande part, devraient
être considérées comme vaines et sans finalité; ce qui supprimerait
tous les principes pratiques, et rendrait de cette façon la nature,
dont normalement la sagesse doit servir de principe dans le jugement
de ses créations, suspecte de se prêter, en l’homme seulement, à un
jeu puéril. |
La nature
a voulu que l’homme tire entièrement de lui-même ce qui va au-delà de
l’agencement mécanique de son existence animale, et qu’il ne participe
à aucune autre félicité ou à aucune autre perfection, que celles qu’il
s’est procurées lui-même par la raison, en tant qu’affranchi de l’instinct. La nature, en effet,
ne fait rien de superflu (überflüssig) et elle n’est pas prodigue dans
l’usage des moyens pour atteindre ses fins. Qu’elle ait donné à l’homme
la raison et la liberté du vouloir qui se fonde sur elle, c’était
déjà l’indication de son intention en ce qui concerne la dotation de
l’homme. Ce dernier devait dès lors ni être conduit par l’instinct,
ni être pourvu et informé par une connaissance innée. Il devait bien
plutôt tout tirer de lui-même. L’invention des moyens de se nourrir,
de s’abriter, d’assurer sa sécurité et sa défense (pour lesquelles la
nature ne lui a donné ni les cornes du taureau, ni les griffes du lion,
ni les crocs du chien, mais seulement les mains), tous les divertissements,
qui peuvent rendre la vie agréable, même son intelligence et sa prudence
et même la bonté de la volonté, tout cela devait entièrement être
son propre ouvrage. La nature semble ici s’être complue dans sa plus
grande économie et elle a mesuré au plus juste, avec beaucoup de parcimonie,
sa dotation animale pour le besoin [pourtant] extrême d’une existence
commençante; comme si elle avait voulu que l’homme, quand il se serait
hissé de la plus grande inculture à la plus grande habileté, à la perfection
intérieure du mode de penser, et par là (autant qu’il est possible sur
terre) à la félicité, en eût ainsi le plein mérite, et n’en fût redevable
qu’à lui-même; comme si également elle avait eu plus à cœur l’estime de soi d’un être raisonnable que le bien-être.
Car il y a dans le cours des affaires humaines une foule de peines qui
attendent l’homme. Il semble pour cette raison que la nature n’ait rien
fait du tout pour qu’il vive bien, [qu’elle ait] au contraire [ fait
tout] pour qu’il travaille à aller largement au-delà de lui-même, pour
se rendre digne, par sa conduite, de la vie et du bien-être. Il reste
en tout cas à ce sujet de quoi surprendre désagréablement : les
générations antérieures ne paraissent s’être livré à leur pénible besogne
qu’à cause des générations
ultérieures, pour leur préparer le niveau à partir duquel ces dernières
pourront ériger l’édifice dont la nature a le dessein, et donc pour
que seules ces générations ultérieures aient la chance d’habiter
le bâtiment auquel la longue suite de leurs ancêtres (à vrai dire, sans
doute, sans intention) a travaillé sans pouvoir prendre part eux-mêmes
au bonheur qu’ils préparaient. Mais aussi énigmatique que cela soit,
c’est pourtant vraiment nécessaire si l’on admet qu’une espèce animale
doit avoir la raison et, comme classe d’être raisonnables, qui sont
tous mortels mais dont l’espèce est immortelle, doit tout de même parvenir
au développement complet de ses dispositions. Le moyen
dont se sert la nature, pour mener à terme le développement de toutes
les dispositions humaines est leur antagonisme dans la société,
jusqu’à ce que celui-ci finisse pourtant par devenir la cause d’un ordre
conforme à la loi. J’entends ici par antagonisme
l’insociable sociabilité
des hommes, c’est-à-dire le penchant des hommes à entrer en société,
qui est pourtant lié à une résistance générale qui menace constamment
de rompre cette société. L’homme possède une tendance à s’associer,
parce que dans un tel état il se sent plus qu’homme, c’est-à-dire qu’il
sent le développement de ses dispositions naturelles. Mais il a aussi
un grand penchant à se séparer (s’isoler) parce qu’il trouve en même
temps en lui cet attribut qu’est l’insociabilité, [tendance] à vouloir
seul tout organiser selon son humeur ; et de là, il s’attend à
[trouver] de la résistance partout, car il sait de lui-même qu’il est
enclin de son côté à résister aux autres. C’est cette résistance qui
excite alors toutes les forces de l’homme, qui le conduit à triompher
de son penchant à la paresse et, mu par l’ambition, la soif de dominer
ou de posséder, à se tailler une place parmi ses compagnons, qu’il ne
peut souffrir, mais dont il ne peut non
plus se passer. C’est à ce
moment qu’ont lieu les premiers pas de l’inculture à la culture, culture
qui repose sur la valeur intrinsèque de l’homme, [c’est-à-dire] sur
sa valeur sociale. C’est alors que les talents se développent peu à
peu, que le goût se forme, et que, par un progrès continu des Lumières,
commence à s’établir un mode de pensée qui peut, avec le temps, transformer
la grossière disposition au discernement moral en principes pratiques
déterminés, et ainsi transformer enfin un accord pathologiquement arraché pour [former]
la société en un tout moral. Sans cette insociabilité,
attribut, il est vrai, en lui-même fort peu aimable, d’où provient cette
résistance que chacun doit nécessairement rencontrer dans ses prétentions
égoïstes, tous les talents resteraient cachés dans leur germes pour
l’éternité, dans une vie de bergers d’Arcadie, dans la parfaite concorde,
la tempérance et l’amour réciproque. Les hommes, inoffensifs comme les
moutons qu’ils font paître, ne donneraient à leur existence
une valeur guère plus grande que celle de leurs bêtes d’élevage; ils
ne combleraient pas le vide de la création au regard de sa finalité,
comme nature raisonnable. Que la nature soit donc remerciée, pour cette
incapacité à se supporter, pour cette vanité jalouse d’individus rivaux,
pour l’appétit insatiable de possession mais aussi de domination !
Sans cela, les excellentes dispositions sommeilleraient éternellement
en l’humanité à l’état de simples potentialités. L’homme veut la concorde,
mais la nature sait mieux ce qui est bon pour son espèce : elle veut
la discorde. L’homme veut vivre à son aise et plaisamment,
mais la nature veut qu’il soit dans l’obligation de se précipiter hors
de son indolence et de sa tempérance inactive dans le travail et les
efforts, pour aussi, en revanche, trouver en retour le moyen de s’en
délivrer intelligemment. Les mobiles naturels, les sources de l’insociabilité
et de la résistance générale, d’où proviennent tant de maux, mais qui
pourtant opèrent toujours une nouvelle tension des forces, et suscitent
ainsi un développement plus important des dispositions naturelles, trahissent
donc bien l’ordonnance d’un sage créateur, et non comme qui dirait la
main d’un esprit malin qui aurait abîmé son ouvrage magnifique ou l’aurait
corrompu de manière jalouse. |
Le plus
grand problème pour l’espèce humaine, celui que la nature la force à résoudre, est
de parvenir à une société civile administrant universellement
le droit. Puisque c’est seulement
dans la société, et à la vérité dans celle qui a la plus grande liberté
et donc un antagonisme général entre ses membres, et qui pourtant détermine
de la façon la plus stricte et garantit les limites de cette liberté,
de façon à ce qu’elle se maintienne avec la liberté d’autrui; puisque
c’est seulement dans cette société que l’intention suprême de la nature
peut être atteinte, à savoir le développement, en l’humanité, de
toutes ses dispositions, et que la nature veut aussi que l’humanité
soit dans l’obligation d’accéder par elle-même [à ce stade] comme à
toutes les fins de sa destination; aussi il faut qu’une société dans
laquelle la liberté, sous des lois extérieures,
se trouvera liée au plus haut degré possible à une puissance irrésistible,
c’est-à-dire une constitution civile parfaitement
juste, soit la tâche suprême
de la nature pour l’espèce humaine, car la nature ne peut mener à leur
terme ses autres desseins, avec notre espèce, qu’en trouvant le moyen
de réaliser cette tâche et
en l’exécutant. C’est la souffrance qui force l’homme, autrement tant
épris de liberté naturelle, à mettre le pied dans cet état de coercition;
et, à vrai dire, [c’est là] la plus grande des souffrances, celle que
les hommes s’infligent les uns aux autres, leurs penchants faisant qu’ils
ne peuvent pas longtemps subsister les uns à côté des autres en liberté
sauvage. C’est seulement dans un enclos
tel que celui de la société civile que les mêmes penchants produisent
par la suite le meilleur effet; tout comme les arbres, par cela même
que chacun cherche à prendre aux autres l’air et le soleil, se contraignent
à les chercher au-dessus d’eux, et par là, acquièrent une belle croissante
droite; tandis qu’en liberté et séparés les uns des autres, ils laissent
leurs branches se développer à leur gré, et poussent rabougris, tordus
et de travers. Toute culture, tout art qui orne l’humanité, le plus
bel ordre social sont les fruits de l’insociabilité qui, par elle-même,
est contrainte de se discipliner et ainsi de développer complètement,
par un art extorqué, les germes de la nature.
Ce problème
est en même temps le plus difficile et celui qui sera résolu le plus
tard. La difficulté, que même
la simple idée de cette tâche nous met déjà sous les yeux, est la suivante
: l’homme est un animal qui, quand il vit avec d’autres
[membres] de son espèce a besoin d’un maître. Car il abuse
à coup sûr de sa liberté à l’égard de ses semblables ; et, bien
qu’en tant que créature raisonnable il souhaite une loi) qui mette des
bornes à la liberté de tous, pourtant, son penchant animal égoïste l’entraîne
à faire exception pour lui, quand il le peut. Il a donc besoin d’un
maître, qui brise sa volonté personnelle et le force à obéir à une volonté
universellement reconnue, de sorte que chacun puisse être libre.
Mais d’où sortira-t-il ce maître ? Nulle part ailleurs que dans
l’espèce humaine. Mais ce maître est de la même façon un animal qui
a besoin d’un maître. L’homme peut donc mener cela comme il veut, on
ne voit pas d’ici comment il pourrait se procurer un chef de la justice
publique qui soit lui-même juste; qu’il le cherche en un particulier
ou qu’il le cherche en une société de plusieurs personnes choisies à
cet effet. Car chacun, parmi eux, abusera toujours de sa liberté si
personne n’exerce sur lui un contrôle d’après les lois. Mais le chef
suprême doit être juste en lui-même et être pourtant un
homme. C’est pourquoi cette tâche
est la plus difficile de toutes, et même sa solution parfaite impossible
: dans un bois aussi courbe que celui dont est fait l’homme, rien ne
peut être taillé qui soit tout à fait droit. La nature ne nous impose
que de nous rapprocher de cette idée [2]. Mais que cette tâche
soit celle qui est mise en oeuvre le plus tard, cela vient de ce qu’elle
requiert des concepts exacts de la nature d’une constitution possible,
une grande expérience, fruit de nombreux voyages à travers le monde,
et par-dessous tout une bonne volonté préparée à accepter cette constitution.
Ces trois éléments sont tels qu’ils ne peuvent se trouver réunis un
jour que très difficilement, et si cela arrive, que très tardivement,
après de nombreux essais [faits] en pure perte. |
Le problème
de l’établissement d’une société civile parfaite est dépendant de celui
de l’établissement de relations extérieures entre les États régies par
des lois, et ne peut être résolu sans que ce dernier ne le soit. A quoi bon travailler
à une constitution civile réglée par la loi entre les particuliers,
c’est-à-dire à la mise en place d’une communauté ? La même insociabilité,
qui contraignait les hommes à cette tâche, est la cause [qui fait] que
chaque communauté, dans les relations extérieures, c’est-à-dire
en tant qu’État en rapport avec les [autres] États, se trouve en liberté
naturelle, et par suite, doit attendre des autres [États] les mêmes
maux qui accablaient les particuliers et les forçaient à entrer dans
un état civil réglé par des lois. La nature a donc aussi
utilisé l’incapacité à se supporter [que manifestent] les hommes,
et même les grandes sociétés et les grands corps politiques composés
d’individus de ce genre, comme un moyen de découvrir, au sein-même de
l’inévitable antagonisme,
un état de repos et de sécurité. C’est-à-dire que, par les guerres,
par ses préparatifs extravagants et jamais relâchés, par la souffrance
qui s’ensuit et qui doit finalement être ressentie par chaque État même
en pleine paix intérieure, la nature pousse [les États] à des tentatives
d’abord imparfaites, mais finalement, après beaucoup de dévastations,
de renversements, et même après un épuisement intérieur général de leurs
forces, [les pousse] à faire ce que la raison aurait pu aussi leur dire
sans une si triste expérience; à savoir sortir de l’état sans lois des
sauvages pour entrer dans une société des nations, dans laquelle chaque
État, même le plus petit, pourra attendre sa sécurité et ses droits
non de sa force propre ou de son appréciation juridique personnelle,
mais seulement de cette grande société des nations (Foedus Amphictyonum),
de l’union des forces en une seule force et de la décision, soumise
à des lois, de l’union des volontés en une seule volonté. Aussi enthousiaste
que puisse aussi paraître cette idée, et bien qu’une telle idée ait
prêté à rire chez un abbé de
Saint-Pierre ou chez un Rousseau (peut-être parce qu’ils
croyaient la réalisation d’une telle idée trop proche), c’est pourtant
le résultat inévitable de la souffrance où les hommes se placent
mutuellement, qui doit contraindre les États (aussi difficile qu’il
soit pour eux de l’admettre) à adopter cette résolution même que l’homme
sauvage avait été contraint de prendre d’aussi mauvais gré, à savoir
: renoncer à sa liberté brutale et chercher dans une constitution réglée
par la loi le repos et la sécurité. Toutes les guerres sont donc autant
d’essais (certes pas dans l’intention des hommes, mais dans l’intention
de la nature) de mettre en place de nouvelles relations entre États
et, par la destruction, ou du moins par le démembrement, de former
de tout nouveaux corps qui, à leur tour, soit par eux-mêmes, soit à
cause de leur proximité, ne peuvent se conserver et doivent par là essuyer
de nouvelles et semblables révolutions; jusqu’à ce qu’enfin, un
jour, en partie par la meilleure organisation possible d’une constitution
civile à l’intérieur, en partie par une convention et une législation
communautaires à l’extérieur, un État soit fondé qui, semblable à une
communauté civile, puisse, tout comme un automate, se maintenir par elle-même.
Doit-on attendre d’une
rencontre épicurienne des
causes efficientes que les États, tout comme les atomes minuscules de
la matière, s’essaient à toutes sortes de configurations par leur
choc fortuit, qui, par de nouveaux chocs, soient à leur tour réduites
à néant, jusqu’à ce qu’enfin, un jour, réussisse par hasard une configuration telle
qu’elle puisse se maintenir dans sa forme (un heureux hasard qui aura
bien des difficultés à se produire un jour); ou doit-on plutôt admettre
que la nature suit ici un cours régulier pour mener peu à peu notre
espèce du degré inférieur de l’animalité jusqu’au degré suprême de l’humanité
par, il est vrai, un art propre bien qu’extorqué à l’homme, et qu’elle
développe très régulièrement, dans cet agencement apparemment sauvage,
ses dispositions originaires; ou bien préfère-ton que, de toutes ces
actions et réactions de l’homme, rien, dans l’ensemble, nulle part,
ne résulte, ou du moins rien de sensé, que tout restera comme tout a
toujours été, et que l’on ne peut, de là, prévoir si la discorde, qui
est si naturelle à notre espèce, ne nous prépare pas finalement
un enfer de maux, quelque civilisé que soit notre état, pendant qu’elle
anéantira peut-être de nouveau cet état et tous les progrès [réalisés]
jusqu’à présent dans la culture par une dévastation barbare (un destin
dont on n’est pas l’abri sous le règne du hasard aveugle,
qui est en fait la même chose que la liberté sans lois, si on ne suppose
pas [que la discorde suit] un
fil directeur de la nature secrètement lié à une sagesse)! Ce qui revient
à peu près à la question : est-il bien raisonnable d’admettre la finalité
de l’institution de la nature dans ses parties et pourtant l’absence de finalité dans le tout?
Ainsi, ce que faisait l’état sans finalité des sauvages, à savoir qu’il
bridait les dispositions naturelles de notre espèce mais, finalement,
par les maux où il la plaçait, la contraignait à sortir de cet état
et à entrer dans une constitution civile où tous ces germes peuvent
être développés, la liberté barbare des États déjà institués le fait
aussi : par l’utilisation de toutes les forces des communautés pour
s’armer les uns contre les autres, par les dévastations que la guerre
occasionne, et encore plus par la nécessité de se tenir pour cette raison
constamment en état d’alerte il est vrai que le progrès du développement
des dispositions naturelles se trouve entravé. Mais, en revanche, les
maux qui en proviennent contraignent notre espèce à trouver une loi
d’équilibre pour [conserver] la résistance de nombreux États voisins,
[résistance] en elle-même salutaire, et qui naît de leur liberté, et
à conférer de la fermeté à cette loi par l’union des forces en une seule
force, par conséquent à instaurer un État cosmopolitique de sécurité
publique des États, qui ne soit pas sans danger, afin que les forces de l’humanité
ne s’endorment pas, mais qui ne soit pas non plus sans un principe d’égalité
de leur action et de leur réaction mutuelles, afin qu’elles
ne s’entredétruisent pas. Avant que
ce dernier pas (à savoir l’union des États ne se fasse, donc
à peu près à mi-chemin de son développement, la nature humaine subit
les maux les plus durs sous l’apparence trompeuse d’un bien-être extérieur; et Rousseau n’avait pas tellement tort,
quand il préférait l’état des sauvages, si l’on s’empresse de faire
abstraction de la dernière étape que notre espèce a encore à franchir.
Nous sommes cultivés à
un haut niveau par l’art et la science. Nous sommes civilisés, jusqu’à en être accablés,
par la courtoisie et les convenances sociales de toutes sortes. Mais
se tenir déjà pour moralisés, il s’en faut encore de
beaucoup. Car l’idée de la moralité appartient bien à la culture, mais
la mise en oeuvre de cette idée, qui se réduit à l’apparence de moralité,
par la noble ambition et par la bienséance extérieure, constitue
simplement la civilisation. Mais aussi longtemps que les États utiliseront
toutes leurs forces à leurs projets d’expansion vains et violents et
qu’ils freineront constamment le lent effort de formation intérieure
du mode de penser de leurs citoyens, en leur ôtant même toute aide dans
cette perspective, on ne pourra rien attendre de cette façon de faire
: il est nécessaire, [pour obtenir autre chose], que chaque communauté
forme ses citoyens par un long travail intérieur. Mais tout bien, qui
n’est pas greffé sur une intention moralement bonne, n’est rien d’autre
qu’une apparence ostentatoire et un manque de moralité habillé de brillants
atours. Le genre humain demeurera sans doute dans cet état jusqu’à ce
qu’il ait travaillé à sortir, par la façon dont j’ai parlé, de l’état
chaotique de ses relations internationales. |
Huitième
proposition : On peut
considérer l’histoire de l’espèce humaine, dans l’ensemble, comme l’exécution
d’un plan caché de la nature, pour réaliser, à l’intérieur , et dans
ce but, aussi à l’extérieur, une constitution politique parfaite,
car c’est la seule façon pour elle de pouvoir développer complètement
en l’humanité toutes ses dispositions. Cette proposition est
une conséquence de la précédente. On le voit : la philosophie pourrait
avoir son millénarisme (Chiliasmus);
mais on n’est pas loin de délirer [en pensant] qu’une telle idée, peut,
par elle-même, participer à la réalisation de cet événement. Il s’agit
seulement de savoir si l’expérience dévoile quelque chose d’un tel cours
de l’intention de la nature. Je dis [que l’expérience dévoile] peu de choses, car cette révolution
semble exiger un temps si long pour s’achever qu’on ne peut, à partir
de la petite portion que l’humanité, dans cette intention, a déjà parcourue,
déterminer avec certitude la forme de sa trajectoire et la relation
de sa partie au tout, de même qu’on ne peut déterminer avec certitude,
à partir des observations du ciel faites jusqu’à présent, la course
que notre soleil, avec tout son régiment de satellites, prend dans le
grand système des étoiles fixes, bien que, pourtant, à partir du fondement
universel de la constitution systématique de l’édifice du monde et du
peu que l’on a observé, on puisse conclure, de façon assez sûre, à la
réalité d’une telle révolution. En attendant, l’espèce humaine
ne peut rester indifférente même à l’époque la plus éloignée que doit
atteindre notre espèce, si elle peut seulement l’attendre avec certitude.
En particulier, cela, dans notre cas, peut d’autant moins nous arriver
qu’il semble que nous pourrions, par une préparation rationnelle appropriée,
conduire plus vite à ce moment si réjouissant pour nos descendants.
C’est pourquoi même les indices fragiles [qui indiquent que nous nous
rapprochons de ce moment] sont pour nous tout à fait essentiels. Aujourd’hui,
les États sont déjà dans des relations mutuelles si artificielles
qu’aucun ne peut appauvrir sa culture intérieure sans perdre de sa puissance
et de son influence par rapport aux autres. Ainsi, même les intentions
ambitieuses des États préservent, sinon le progrès, du moins le maintien
de ce but de la nature. Bien plus : aujourd’hui, on ne peut très probablement
pas attenter à la liberté civile sans porter par là préjudice à
tous les métiers, surtout au commerce, mais aussi, de cette façon, sans
que l’affaiblissement des forces de l’État ne se sente dans les relations
extérieures. Mais cette liberté s’étend peu à peu. Quand on empêche
le citoyen de chercher son bien-être par tous les moyens qui lui plaisent,
pourvu qu’ils puissent coexister avec la liberté d’autrui, on entrave
le dynamisme de l’activité générale et, par là, d’autre part, la force
du tout. C’est pourquoi on supprime de plus en plus les limites mises
aux faits et gestes des personnes, et on concède la liberté générale
de religion. Et ainsi, les Lumières se dégagent progressivement du cours
des folies et des chimères, comme un grand bien que le genre humain
doit aller jusqu’à arracher des projets égoïstes d’expansion de ses
souverains, pourvu qu’ils comprennent leur propre intérêt. Mais ces
lumières, et avec elles aussi un certain intérêt du cœur que l’homme
éclairé ne peut éviter de prendre pour le bien qu’il conçoit parfaitement,
doivent peu à peu monter jusqu’aux trônes, et même avoir une influence
sur leurs principes de gouvernement. Bien qu’à l’heure actuelle, par
exemple, il ne reste que peu d’argent à nos gouvernants pour les
institutions publiques d’éducation et, somme toute, pour
tout ce qui concerne l’amélioration du monde, parce que tout est déjà
porté au compte de la guerre à venir, ils trouveront pourtant là que
c’est leur propre intérêt de ne pas, c’est le minimum, contrarier les
efforts privés, certes faibles et lents, de leurs peuples. Finalement,
la guerre devient même peu à peu non seulement
si technique son issue si incertaine pour les deux camps, mais
aussi devient une entreprise qui donne tant à réfléchir par les suites
fâcheuses que subit l’État sous un fardeau toujours plus pesant des
dettes (une nouvelle invention) dont le remboursement devient imprévisible
que, dans notre partie du monde où les États sont très interdépendants
du point de vue économique, tout ébranlement de l’un a une influence
sur tous les autres, et cette influence est si évidente que ces États,
pressés par le danger qui les concerne, s’offrent, bien que sans caution
légale, comme arbitres et, ainsi, de loin, préparent tous un futur grand
corps politique, dont le monde, dans le passé, n’a présenté aucun exemple.
Bien que ce corps politique ne soit guère, pour l’instant, qu’à l’état
d’ébauche grossière chacun des membres [futurs] est néanmoins déjà comme
tenaillé par un sentiment qui incite considérer comme important le maintien
de l’ensemble; et ceci donne l’espoir que, après maintes révolutions
s’établisse enfin ce que la nature a comme intention suprême, un État
cosmopolitique universel au sein duquel toutes les dispositions
originaires de l’espèce humaine seront développées. |
Neuvième
proposition : Une tentative
philosophique d’étudier l’histoire universelle d’après un plan de la
nature visant l’union civile parfaite dans l’espèce humaine doit être
considérée comme possible et même comme susceptible de favoriser cette
intention de la nature. C’est certes un projet
étrange et, semble-t-il, absurde, que de vouloir rédiger une histoire à partir de l’idée du cours
que devrait suivre le monde s’il devait se conformer à des fins
raisonnables certaines. Il semble que, dans une telle intention, on
ne puisse que constituer un roman.
Toutefois, s’il est permis de supposer que la nature ne procède pas,
même dans le jeu de la liberté humaine, sans plan et sans intention
finale, alors cette idée pourrait bien devenir utile; et bien que nous
ayons la vue trop courte pour percer à jour le mécanisme secret de son
organisation, cette idée pourrait cependant nous servir à présenter
comme un système, du moins
en gros, ce qui, sinon, ne serait qu’un agrégat d’actions humaines sans
plan. Si nous commençons par l’histoire grecque - c’est par elle que
toute autre histoire, plus ancienne ou contemporaine, a été conservée,
ou du moins [c’est par elle que toute autre histoire] doit être authentifiée [3] - si nous suivons [cette
histoire] de la création et de la chute du corps politique du peuple
romain, qui engloutit l’État
grec, et finalement de l’influence de ce peuple sur les barbares qui le détruisirent leur tour, jusqu’à notre époque,
et si nous ajoutons de façon épisodique l’histoire politique des autres
peuples telle qu’elle a pu parvenir peu à peu à notre connaissance par
ces mêmes nations éclairées, alors nous découvrirons un cours régulier
de l’amélioration de la constitution politique dans notre partie du
monde (qui, vraisemblablement donnera un jour des lois à toutes les
autres). En outre, alors qu’on prête attention partout seulement à la
constitution civile, aux lois et aux relations entre les États, aussi
loin que les deux, par le bien qu’elles contenaient, servirent un certain
temps à élever les peuples (avec eux les arts et les sciences) et à
les glorifier, mais les firent en revanche s’effondrer, de telle sorte
pourtant que, toujours, un germe de lumières demeurait qui, davantage
développé par chaque révolution, préparait encore un degré à venir plus
élevé d’amélioration, [alors donc], on pourra découvrir comme je le
crois, un fil directeur qui ne peut seulement servir à l’éclaircissement
du jeu si embrouillé des affaires humaines, où à la prédiction politique
des transformations futures des États (un bénéfice que l’on a en outre
déjà tiré de l’histoire des hommes, même quand on la considérait comme
l’effet sans cohérence d’une liberté sans règle !), mais qui ouvrira
(ce que l’on ne peut espérer avec raison sans supposer un plan de la
nature) une perspective consolante de l’avenir, où l’espèce humaine
se présentera comme travaillant à se hisser à un état dans lequel tous
les germes que la nature a mis en elle pourront se développer totalement
et [dans lequel] sa destination, là, sur terre, sera remplie. Une telle
justification de la nature
- ou mieux de la Providence
- n’est pas un motif sans importance pour choisir un point de vue particulier
pour considérer le monde. A quoi bon, en effet, faire l’éloge de la
splendeur et de la sagesse de la création, dans un règne de la nature
privé de raison et en recommander l’étude, si la partie du grand théâtre
de la sagesse suprême, qui détient le but de tout cela, - l’histoire
de l’espèce humaine - doit demeurer une constante objection, dont le
spectacle nous oblige à détourner le regard avec irritation et qui,
alors que nous désespérons d’y trouver jamais une intention raisonnable
accomplie, nous conduit à ne l’espérer que dans un autre monde ?
Penser] que j’ai voulu,
avec cette idée d’une histoire du monde, qui a, pour ainsi dire, un
fil conducteur (einen Leitfaden) a
priori, évincer l’étude de l’histoire proprement dite, rédigée
de façon simplement empirique, serait [faire] une fausse interprétation
de mon intention; ce n’est là qu’une conception de ce qu’une tête philosophique
(qui devrait du reste être très versée dans l’histoire) pourrait encore
tenter d’un autre point de vue. En outre, il faut que la minutie, certes
louable, avec laquelle on rédige l’histoire aujourd’hui, fasse de façon
naturelle réfléchir [à la question] : comment nos descendants éloignés
s’y prendront-ils pour porter le fardeau de l’histoire que nous pourrons
leur laisser après quelques siècles? Ils jugeront sans doute de la valeur
des temps les plus anciens, dont il se pourrait que les documents écrits
soient pour eux depuis longtemps perdus, à partir du seul point de vue
qui les intéresse : que les peuples et les gouvernants ont-ils fait
de favorable ou de préjudiciable à l’intention cosmopolitique ?
Or, prendre garde à cela, de même qu’à l’ambition des chefs d’État comme
à celle de leur ministres, afin de leur indiquer le seul moyen qui peut
leur apporter [aux yeux] des temps futurs une glorieuse renommée, ce
peut être encore un petit motif supplémentaire de tenter
de rendre compte d’une telle histoire philosophique. |
[1] Note de Kant :
Un passage d'une courte note du douzième numéro de la revue scientifique
de Gotha de cette année, sur l'entretien que j'ai eu avec un savant
de passage, m'oblige
à cette clarification sans laquelle ce passage serait inintelligible. [2] Note de Kant : Le rôle de l'homme
est donc très artificiel. Ce qu'il en est des habitants d'autres planètes
ou de leur nature, nous ne le savons pas. Mais si nous nous acquittons
correctement de cette mission de la nature, nous pouvons bien nous
flatter de devoir prétendre à un rang qui ne soit pas inférieur, parmi
nos voisins, dans l'édifice du monde. Peut-être, chez ces derniers,
chaque individu peut-il atteindre sa destination durant sa vie.
Chez nous, il en va autrement : seule l'espèce peut l'espérer. [3] Note de Kant
: Seul un public savant
qui, depuis son apparition jusqu'à nous, existe sans interruption,
peut authentifier l'histoire ancienne. En dehors de lui, tout est
terra incognita; et l'histoire des peuples qui vécurent hors de lui
ne peut commencer qu'au moment où ils y sont entrés. Ce qui arriva
au peuple juif au temps des Ptolémées, par
la traduction grecque de la Bible, sans laquelle on ajouterait peu
foi aux informations isolées
[qui le concernent]. A partir de ce moment
(dès lors que ce commencement a été dûment établi), on peut poursuivre
le récit en amont. Et de même pour les autres peuples. La première
page de Thucydide (dit
Hume) est le seul commencement
de toute histoire véridique (ist der einzige Anfang aller wahren Geschichte). |